Sens & idées | Nouvelles formes d’organisation : des effets contrastés sur la QVCT
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Nouvelles formes d’organisation : des effets contrastés sur la QVCT

05 Mar Nouvelles formes d’organisation : des effets contrastés sur la QVCT

« Entreprise libérée », « SCOP », « Plateforme numérique »… en plaçant l’autonomie et la responsabilisation des travailleurs au cœur de leur fonctionnement, les nouvelles formes d’organisation offrent la promesse d’une plus grande flexibilité, d’un plus fort engagement, et d’un meilleur épanouissement professionnel.

Mais qu’en-est-il vraiment ? Une étude financée par la DARES et menée par Dejours, Le Lay, Lemozy et Gernet (2024) met en lumière les effets contrastés de ces nouvelles formes d’organisation sur la santé des travailleurs et la performance collective, à travers trois points d’entrée : l’autonomie, la coopération, et l’encadrement.

 

Autonomie : liberté ou contrainte ?

Au sein des plateformes numériques, l’autonomie individuelle est présentée comme une caractéristique centrale du modèle : les travailleurs, souvent auto-entrepreneurs, choisissent leurs horaires et missions. Toutefois, le cadre de leur activité (temps de réalisation, tarification des prestations, gestion de la satisfaction client…) est défini par un algorithme, dépossédant ainsi le travailleur de la tarification de son propre travail. En conséquence, ces travailleurs développeraient des stratégies d’auto-accélération, dans l’objectif d’améliorer leurs gains. Paradoxalement, selon les auteurs, cette stratégie dite « de défense » aurait pour but de lutter contre l’incertitude en donnant l’impression d’une maitrise sur sa propre productivité, au prix d’une augmentation des risques sur la santé physique et psychologique (prise de risque, surinvestissement…).

Le modèle des SCOP s’articule quant à lui autour d’une autonomie collective, où les décisions,  les règles et responsabilités sont prises en grand groupe et de façon démocratique, sur le principe « une personne = une voix ». Ainsi, les salariés-associés ont une influence sur la définition des règles de fonctionnement, auxquels ils doivent se conformer par la suite. Cet équilibre entre responsabilité individuelle et collective constitue un facteur de protection et d’engagement. Toutefois, selon les auteurs, cet engagement collectif peut aussi virer à un phénomène d’auto-exploitation, notamment lorsque la pression économique s’accentue. La frontière entre implication volontaire et contrainte implicite devient alors ténue.

Dans les entreprises libérées, l’autonomie atteint son paroxysme, tant sur le plan individuel que collectif. La structure hiérarchique est réduite à son minimum, et chacun s’organise librement ou presque. Le pouvoir décisionnel est délégué aux individus ou aux équipes directement concernés par le sujet à traiter, permettant une grande agilité. Là encore, les auteurs relèvent quelques limites. D’un côté, l’autonomie individuelle et l’existence d’espaces de régulation collective constituent autant de facteurs de ressources professionnelles. Cependant, les efforts nécessaires pour parvenir à une organisation fluide et harmonieuse entre les personnes et/ou entre les équipes, en cohérence avec les orientations stratégiques de l’organisation, induisent un risque de surmenage.

 

Coopération : un levier fragile   

Dans le modèle des plateformes numériques, la coopération entre travailleurs est quasi inexistante. Chacun étant, de facto, un concurrent pour l’autre. Ainsi, selon l’étude, l’absence de collectif renforcerait le sentiment d’isolement et de manque de reconnaissance sociale, avec des conséquences sur le niveau de détresse psychologique des personnes.

Les SCOP, à l’inverse, accordent une place centrale à l’entraide, à travers une coopération structurée.  Espaces de discussion, transparence, et décisions partagées…Tout est fait pour stimuler et entretenir les échanges entre les salariés, dans un cadre précis. Ces pratiques permettent de réduire l’isolement et facilite aussi la régulation des problématiques de travail. Mais, sous la pression des enjeux économiques, le mécanisme d’auto-exploitation détaillé plus haut peut se rejouer en prenant une ampleur collective ; la coopération agissant tel un piston sur l’enjeu de réussite collective, et poussant les salariés à un investissement excessif, au nom du bien commun.

A l’instar des SCOP, les entreprises libérées accordent une place tout aussi importante à la coopération, sous une forme plus flexible et spontanée. En cultivant les échanges transversaux et les groupes-projet plus ou moins éphémères selon les besoins, elles observent les mêmes bénéfices en termes de soutien et de régulation collective. En revanche, selon l’étude, le modèle des entreprises libérées pècherait à nouveau par sa caractéristique première : sa structuration organique et décentralisée, laissant l’animation des coopérations à la charge de tous, avec des impacts sur la régulation de la charge et la performance collective.

 

L’encadrement : un facteur protecteur

L’une des grandes particularités des plateformes numériques réside dans l’absence totale (ou presque) d’encadrement humain, remplacé par un management algorithmique. Ainsi, et en synthèse des points précédents, les travailleurs disposent de toute l’autonomie nécessaire pour se donner à eux-mêmes la responsabilité d’optimiser leur productivité, sans maitrise des coûts de leur propre travail, et sans disposer du moindre soutien technique ou feedback humain. En cumulant forte charge de travail et faible soutien social, les travailleurs s’exposent alors à une situation psychosociale à risque (stress, isolement, manque de reconnaissance…).

En se basant sur un management participatif et structuré, les SCOP offre un cadre sécurisant. Le rôle de l’encadrement y est davantage axé sur la coordination et l’animation plutôt que sur le contrôle, rendu moins pertinent en raison du processus de délibération collectif sur la fixation des objectifs et des règles de fonctionnement. Cependant, ce modèle peut s’avérer vulnérable en cas de pressions venant de l’environnement externe, surtout si elles obligent une prise de décision rapide.

Au niveau des entreprises libérées, l’absence de hiérarchie formelle laisse aux salariés une responsabilisation quasi-entière sur la fixation des objectifs, la prise de décision, l’organisation des temps de travail et la participation aux groupes de travail. Selon l’étude, les efforts psychiques conséquents déployés par les individus pour assurer l’organisation du travail peuvent engendrer des troubles psychosociaux au travail. Le manque d’informations stratégiques accroit ce risque.

 

Conclusion

Les nouvelles formes d’organisation apportent des réponses aux attentes contemporaines liées au travail, vers plus d’autonomie, de coopération, et moins de hiérarchie. Bien que l’étude souligne les effets bénéfiques des trois configurations, elle pointe aussi certaines limites et effets pernicieux. Il n’existe probablement pas de modèle « parfait », l’enjeu principal étant de parvenir à un « juste dosage » ; en évitant les écueils d’une autonomie si débridée qu’elle en deviendrait isolante, d’une coopération horizontale si structurée qu’elle en serait sclérosante, et d’une autorité si absente qu’elle aboutirait à une perte de sens.

De cette étude ressort, en contraste, la fonction indispensable de l’encadrement humain. En incarnant, par ses pratiques, les valeurs de l’organisation, le manager fait vivre le sentiment d’appartenance à travers le partage d’une culture commune. En régulant le travail, le partage des tâches et des responsabilités, il valorise les contributions individuelles et la performance collective. En faisant des retours sur le travail de ses collaborateurs, il contribue au sentiment reconnaissance. En assumant ses responsabilités, il assure un rôle protecteur, d’organisateur et de moteur de l’activité.