10 Sep Les managers de proximité face à « l’effet domino » des risques psychosociaux : Mieux les outiller pour mieux les préserver.
Le manager de proximité : Façonneur de la QVCT et Sentinelle des RPS
A la fois salarié et représentant de l’employeur, le manager de proximité n’est pas seulement chargé d’appliquer les décisions et les politiques de l’entreprise : il doit aussi les traduire, les incarner, les adapter aux réalités opérationnelles, et faire remonter ce qui se vit sur le terrain. Par ses décisions, ses actions et ses comportements, il façonne les conditions de travail, oriente les pratiques collectives, orchestre les collaborations… avec des effets concrets et directs sur la santé, le bien-être et l’engagement des collaborateurs.
Parce qu’ils sont en relation directe avec les équipes, les managers de proximité sont aussi les mieux placés pour détecter précocement les « signaux faibles » des RPS. Ces « petits riens » qui passeraient inaperçus pour toute personne extérieure : des erreurs inhabituelles, des retards soudains, des tensions naissantes… Face à ces situations, ils sont souvent une première oreille, au risque d’atteindre les frontières de leur rôle, de s’exposer à la souffrance des autres (et d’en souffrir eux-mêmes), si ce n’est parfois d’en être tenu pour « responsable » – que ce soit en tant que « cause du problème » et/ou en tant que « solution » pour y remédier.
Effet domino des RPS : Quand le vécu des collaborateurs affecte celui des managers
Loin d’être anodine, la sollicitation des managers dans la gestion des problématiques psychosociales rencontrées par leurs collaborateurs peut entraîner des conséquences sur leur vécu professionnel et leur santé (stress, frustration, souffrance éthique, doute de soi…). Ce phénomène de « transmission » des risques psychosociaux a récemment été détaillé dans un article paru dans la revue Human Resources Management (Jimmieson & Bergin, 2025).
En synthèse, l’étude souligne que, lorsque les managers sont confrontés à une situation perçue comme stressante par un de leurs collaborateurs, ils réagissent le plus souvent selon en 2 temps :
- D’abord par une réponse rationnelle, en répertoriant les ressources et solutions les plus efficaces pour résoudre le problème identifié [i.e. effectiveness of action].
- Ensuite par une réponse psychosociale, en prenant en compte les incidences des solutions envisagées sur leur propre situation : degrés d’(in)confort avec le sujet à traiter, temps à y consacrer, charge de travail induite… [i.e. stressfulness of action].
Bien que simplifié, ce schéma de réponse permet de mieux cerner les rouages agissant dans le phénomène de « transmission des RPS » dans la relation Collaborateur – Manager.
Le premier rouage renvoie à la capacité du manager à « qualifier » le risque psychosocial, autrement dit à en repérer les causes principales, à déterminer la fréquence d’exposition, ainsi que la gravité des conséquences actuelles ou futures. Ce n’est qu’à partir de ces informations qu’il peut en déduire le niveau d’urgence à agir, ainsi que les ressources – actions à mettre en œuvre.
Le deuxième rouage renvoie à l’existence ou non de solutions / moyens / acteurs mobilisables au sein et en dehors de l’entreprise. Encore faut-il que le manager ait connaissance de ces ressources et qu’il soit convaincu de leur efficacité.
Enfin, le troisième rouage renvoie aux propres réactions psychologiques et émotionnelles du manager, basées sur « l’Efficacité perçue de l’action » et le degré de « Contrainte liée à l’action ».
Ainsi, c’est par la voie du déséquilibre entre la perception des « contraintes » induites par la situation, et la perception de l’efficacité des « ressources » permettant d’y faire face, que le stress se faufile du collaborateur vers le manager.
Stopper l’effet domino : Anticiper les « stresseurs » pour mieux « outiller » les managers
En définitive, l’activation du premier rouage du mécanisme de transmission des RPS repose sur des lacunes méthodologiques, contraignant la capacité des managers à « identifier » et « évaluer » le risque psychosocial. Pour répondre à cet enjeu, Jimmieson & Bergin ont établi une cartographie des principaux « stresseurs » observés chez les collaborateurs (cf. tableau n°1), offrant en quelque sorte une première « paire de lunettes » permettant de « voir » le risque psychosocial.
En parallèle, les chercheuses ont également hiérarchisé les « ressources-actions » les plus utilisées pour répondre aux problématiques psychosociales de leurs collaborateurs (cf. tableau n°2). Cet inventaire répond ainsi aux enjeux du « deuxième rouage », en proposant un « catalogue » des solutions connues et approuvées par les managers.
Pour aller plus loin, Jimmieson & Bergin ont ensuite procédé à une analyse croisée des Stresseurs exprimés Vs. Actions managériales mises en œuvre. Sans surprise, leurs résultats montrent que les actions privilégiées dépendent du « stresseur » identifié. Ainsi par exemple, les problématiques liées à la régulation de la charge de travail ou à la gestion d’imprévus sont préférentiellement traitées par l’apport d’un soutien technique ; tandis que les problèmes d’origine privée ou personnelle appellent davantage à recourir au soutien émotionnel et à l’orientation vers les services dédiés à l’accompagnement des salariés.
Cependant, on constate aussi que certaines actions, alors qu’elles sont perçues comme particulièrement efficaces, sont finalement sous-utilisées (ex. : résolution des conflits, gestion de la charge de travail et des délais). Ou, à l’inverse, que des actions inadéquates continuent d’être utilisées (ex. : réponses inappropriées ; cf. tableau n°2). Pourquoi ? C’est là tout l’enjeu du « troisième rouage » : en raison de la perception des « contraintes liées à l’action ». Autrement dit, il ne suffit pas d’anticiper les « stresseurs », ni de disposer du plus vaste « catalogue » de solutions : il faut aussi développer les compétences des managers en matière de RPS pour faciliter le passage à l’action.
Prévenir les risques psychosociaux : un enjeu de leadership
C’est l’enseignement fondamental des travaux menés par Jimmieson & Bergin : le déploiement des politiques de prévention des risques psychosociaux est aussi un enjeu de développement du leadership.
Dans la dernière partie de leur article, les chercheuses ont demandé à une cohorte de managers d’auto-évaluer leur « efficacité » à gérer une situation RPS, et leur niveau de « stress » ressenti dans la gestion de cette même situation, faisant émerger 3 types de profils :
- (1) Profil « Unfavorable» (niveau d’efficacité moyen – niveau de stress moyen) – 32% des répondants
- (2) Profil « Challenge» (niveau d’efficacité élevé – stress élevé) – 48% des répondants
- (3) Profil « Favorable» (niveau d’efficacité élevé – stress faible) – 20% des répondants
Leurs résultats révèlent plusieurs constats chez les managers formés au RPS :
- D’une part, ils sont significativement plus nombreux à se retrouver dans le profil « Favorable» ;
- D’autre part, ils rapportent davantage de situations résolues ;
- Enfin, ils sont significativement moins sujets à la détresse psychologique.
Que s’est-il passé pour ceux-là ? Moins de contraintes et des collaborateurs moins concernés par le stress ? Plus de ressources ou un catalogue de solutions plus étoffé ? Non. Ils ont simplement gagné en maîtrise. En assimilant les méthodes d’identification précoce et d’évaluation des facteurs de stress. En s’entrainant à détecter les signaux d’alerte et à décrypter. En se formant aux techniques d’entretien et aux méthodes de co-construction de solutions-actions. En sachant se positionner, en tant que manager, dans le réseau des acteurs de la prévention. En pratiquant chaque fois que cela est nécessaire.
Autrement dit, si les « contraintes » objectives liées à la situation n’ont pas changé, c’est le regard du manager sur sa propre capacité à les gérer qui s’est transformé. Ce faisant, s’opère un renversement des mécanismes de transmission du stress et, avec lui, se présente l’opportunité d’assumer pleinement ses responsabilités de leadership, de démontrer ses compétences et de ressentir un sentiment d’accomplissement.
Conclusion :
Les travaux de recherche conduits par Jimmieson & Bergin ouvrent à une prise de conscience de la situation spécifique des managers face aux risques psychosociaux. Les organisations et les managers eux-mêmes doivent prendre garde à ne pas céder au stéréotype du manager « super-héros », exempt de vulnérabilité.
Dans l’étude, seulement 20% des managers interrogés se retrouvent dans le profil « Favorable », tandis que 32% d’entre eux se retrouver dans le profil « Unfavorable ». Ce qui implique qu’une part substantielle des managers de nos organisations reste exposée à ces difficultés, et en attente d’un soutien méthodologique et technique face aux risques psychosociaux.
A cet égard, l’étude souligne que la qualité des conditions de travail prise au sens large (évaluation préalable des risques, identification des ressources-actions et acteurs mobilisables, qualité des relations…) constitue un prérequis incontournable, mais non déterminant sans une appropriation collective de ces ressources par le corps managérial. C’est pourquoi la formation des managers aux risques psychosociaux ne doit pas se limiter à une approche individuelle, centrée sur l’acquisition de connaissances théoriques ; elle doit au contraire se fonder sur la mise en partage des expériences, l’entraide et le soutien entre pairs, pour faire naître une véritable culture managériale de la prévention.
Tableau n°1 : « Stresseurs » récurrents observés chez les collaborateurs par les managers
Stresseurs | Déterminants |
Exigences liées à la tâche |
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Facteurs personnels |
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Ressources humaines |
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Evènements imprévus liés à la mission |
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Violences externes |
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Evènements imprévus extérieurs à la mission |
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Conflits interpersonnels |
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Désaccord sur le travail |
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Tableau n°2 : « Actions managériales » les plus couramment utilisées
Actions | Descriptions |
Soutien technique |
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Soutien émotionnel |
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Résolution des conflits |
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Gestion de la charge de travail et des délais |
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Accorder de la flexibilité |
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Débriefing & Coaching |
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Reprendre une partie de la charge de travail du salarié |
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Orienter vers les services dédiés à l’accompagnement des salariés |
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Réponses inappropriées |
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